Piano Forte Magazine (Korea)

La Revue « Piano Forte » (Corée du sud)

Piano forte

De nos jours les jeunes artistes dans la vingtaine et la trentaine sont différents. Ils sont plus réalistes quant à la compréhension des concepts musicaux, ainsi qu’à leur motivation personnelle de poursuivre une carrière musicale. Autrement dit, ils possèdent leur propre philosophie. Tristan Lauber n’échappe pas à cette tendance.

La Corée fait partie de sa tournée asiatique. Y figurent aussi Singapour, Kuala Lumpur et Tokyo. Il a joué à Pusan le 21 janvier, à Kwangju le 23, dans la salle principale du centre culturel, ainsi qu’à la résidence de l’ambassade suisse à Séoul le 6 février.

« C’est ma mère qui ma initié à la musique classique. Elle en jouait tout le temps. Je me suis senti à l’aise devant la musique classique depuis mon enfance. Le piano me permet de m’exprimer pleinement. C’est un instrument èa grande envergure. Il est très orchestral. C’est le seul instrument qui me permet une expression complète de mes sentiments. »

D’origine suisse-viètnamienne, M. Lauber est né au Canada. Il obtint ses diplômes de l’université McGill et de l’université de Montréal. Il ne veut pas hâter le progrès de sa carrière. Il préfère se préparer de façon graduelle.

Il affectionne tout particulièrement le répertoire romantique. Il parle allemand et a penchant pour la musique et la culture allemande. Bien qu’il ait complété tous ses diplômes, il croit qu’un interprète ne doit jamais cesser d’apprendre. Le mot qui décrit le mieux la musique pour lui est le mot « puissance ». « La musique a une puissance plus grande que n’importe quel art. » dit -il, « elle atteint notre âme et exprime nos émotions de la façon la plus immédiate. »

Ayant grandi dans un foyer multiculturel, d’un père asiatique et d’une mère occidentale, il fut fasciné par le Bouddhisme. Étant un mélange de l’est et de l’ouest, il a pu bien assimiler l’harmonie du concept du yin et du yang. Cette origine personnelle unique a beaucoup contribué à son évolution musicale.

Dans le Filipino Mirror

Dans le Filipino Mirror

Événements : La musique de Tristan Lauber

par Rose Raguindin.

Manille s’est vue séduire dernièrement par Tristan Lauber, le pianiste canadien, qui lui a offert une remarquable interprétation de Mozart, Schumann et Moussorgsky.

Pour le pianiste canadien la musique est une mission dont il ne peut se priver.

« La musique devient presque une thérapie qui m’est nécessaire à la vie« , nous raconte M.Lauber, qui a donné un concert mémorable à l’université des Philippines à Diliman.

Il eut sa piqûre pour la musique classique durant les étés qu’il a passés en Suisse. Son grand-père maternel l’amenait à un festival au bord du lac ou des groupes de différents pays jouaient. Cela l’a tellement marqué qu’il a demandé à ses parents de lui acheter ses premiers disques de musique classique, des oeuvres de Mozart et Beethoven. Son père, pour sa part, l’a également influencé. Il était en effet un guitariste amateur de rock. Pour ces raisons, ses héros durant son enfance étaient autant Beethoven qu’Elvis Presley.

M. Lauber détient un doctorat en interprétation de l’université de Montréal et a remporté de nombreux prix; entre autres au concours de musique du Québec et du Canada ainsi que le premier prix en musique de chambre au concours CIBC en 1989. Il a aussi reçu des bourses et des prix du conseil des Arts et des Lettres du Québec et de la Fondation des Amis de l’Art.

Au fil des années, ses intérêts se sont étendus. « Je me suis amusé un peu au jazz, mais pas de façon professionnelle , bien que je me sois promis d’essayer ce genre dans trois ou quatre ans peut-être, lorsque mon répertoire classique aura augmenté et que j’aurai plus de temps. » Il trouve le jazz fascinant, mais il reconnaît que c’est un langage différent. Il y a très peu de pianistes qui puissent jouer du classique et du jazz à un niveau professionnel.

Lorsqu’on lui demande quelle est l’influence la plus importante sur son esthétique, il répond « j’ai une passion pour le répertoire romantique, c’est celui pour lequel j’ai le plus d’affinités. La grande tradition russe m’inspire, le jeu des pianistes tels que Richter et Gilels m’a profondément affecté.«  Il a aussi exprimé une grande admiration pour Anton Kuerti, qu’il décrit comme un spécialiste de Beethoven, pour André Laplante et aussi son premier professeur Marc Durand.

M. Lauber s’est rendu compte que les Philippins ne préfèrent pas la musique classique. Il a noté quelque chose qui sort de l’ordinaire par contre; l’orchestre Philharmonique Philippin ne comprend aucun musicien étranger, ce qui n’est pas la norme pour les pays asiatiques.

Puisqu’il doit consacrer 5 à 6 heures à sa pratique quotidienne, il lui reste peu de temps pour penser à autre chose. Le piano peut devenir épuisant, tant au niveau mental que physique, et c’est ici que la passion joue son rôle. Selon Tristan, le dévouement et la passion sont primordiaux si l’on veut voir fleurir sa carrière.

Le concert récent de M. Lauber fut commandité par l’ambassade canadienne, pour commémorer le 50ème anniversaire des relations bilatérales Canada-Philippines depuis 50 ans, le Canada maintient des liens culturels avec les Philippines. Il a envoyé maints artistes canadiens et a reçu de nombreux artistes philippins.

Philippines Business World magazine: Arts and Leisure

Philippines Business World magazine: Arts and Leisure

La musique : élément clé de la vie du pianiste Tristan Lauber

Editée par Alicia A. Herrera

Si la poursuite des bandits , la construction de laboratoires sur Mars, la défense de la Terre contre des monstres intergalactiques constituent les rêves professionnels de tous les jeunes garçons, alors ceci suffit pour illustrer le fait que le pianiste Tristan Lauber sort de l’ordinaire.

« Je ne me suis jamais imaginé en train de faire autre chose que de jouer du piano » avoue M. Lauber. « Bien sûr, quand j’étais gosse, je lisais les bandes dessinées, je regardais les films d’action, j’adorais les policiers et le astronautes, mais je n’ai jamais voulu travailler dans ces domaines.  »

« Mon père, qui a une formation d’ingénieur, aurait voulu que je choisisse une profession autre que celle de musicien  » nous a-t-il confié, « mais maintenant qu’il voit que je réussis, il est très fier et ne regrette en rien de m’avoir laissé poursuivre ce que je voulais vraiment faire.  »

Il commence à jouer relativement tard, à neuf ans et sans professeur. Sa mère, voyant son intérêt prononcé pour l’instrument, lui a acheté un piano. Pendant un an, il se contenta de pièces relativement simples. Son instruction formelle commença à l’âge de 10 ans. Sa première prestation publique eut lieu (après un an d’études) à la salle Pollack de l’université McGill. Le concert dont il est question commémorait le 70ième anniversaire du compositeur canadien Otto Joachim. On a ensuite présenté ce spectacle sur les ondes de Radio Canada. Ceci aboutit à l’enregistrement des « Twelve Tone Pieces  » de ce compositeur sur étiquette Radio Canada International.

« Ma mère est une compositrice canadienne connue. Elle fut pour moi une grande influence. Elle ne m’a pas enseigné le piano parce qu’elle est ni pianiste ni professeur. Par contre, elle joua beaucoup pour moi quand j’étais enfant. Elle joua mes pièces classiques préférées. Ceci fut une des raison principales pour laquelle je me suis intéressé à la musique classique  ».

« Je dois remercier également mon père. Il n’est pas musicien professionnel mais il est vietnamien. Comme beaucoup de vietnamiens, il a un fort penchant pour la musique. Lui et tous ses frères jouent très bien la guitare électrique. En fait, ce fut ainsi qu’il a connu ma mère. Il jouait des chansons des Beatles avec son groupe rock dans un bar. C’était les années soixante et il avait les cheveux longs. Bref…  »

« Je lui dois le désir de jouer sur scène. Même s’il n’est pas un professionnel, il a donné des spectacles impressionnants lors des nouvel ans vietnamiens. Il pratiquait pendant des heures dans notre sous-sol. Le volume était si fort que les verres tremblaient sur la table!  »

De nos jours, avec tous les progrès technologiques, le monde de la musique évolue à une vitesse qu’aucune autre génération d’artistes a dû affronter. Un coup d’oeil dans les magasins nous montre que la musique à elle seule ne suffit plus à captiver l’attention de l’auditeur. Certes, elle demeure l’élément fondamental, mais il faut maintenant la commercialiser au sens visuel pour attirer l’auditoire. Tout ceci, concorde M. Lauber, sert à compliquer d’avantage la situation.

« Le monde de la musique subit des changements dramatiques. Il devient de plus en plus difficile pour les artistes classiques de survivre car le marché souffre de plusieurs maux, dont les coûts d’opérations.  »

Malgré tout cela, c’est l’auditoire que l’on considère d’abord. Il faut connaître son marché. Il faut être souple et versatile, mais il demeure néanmoins plus important de conserver son intégrité personnelle, de se trouver sa propre niche selon sa personnalité.

Pour sa tournée aux Philippines, M. Lauber fit un peu de recherches et se contenta d’un programme qu’il trouva accessible à un auditoire de cultures mélangées.

« Le peuple philippin est très musical, et cela m’a toujours impressionné. J’ai passé quelques jours au campus de l’UP (Université des Philippines). J’ai entendu à travers les cloisons plusieurs de leurs chorales. Je suis resté très impressionné. Ils sont très doués. Hier même, on est allés à un restaurant italien. C’était l’anniversaire de deux clients. Ils avaient apporté un enregistrement musical de Happy Birthday. Les serveurs, entre 10 et 15 d’entre eux, ont chanté Bonne Fête aux clients. C’était merveilleux! Cela montre à quel point les Philippins sont musicaux. Ils adorent chanter, ce qui est émouvant à entendre. »

Éventuellement M. Lauber espère ajouter quelques compositeurs philippins à son répertoire. Ceci était son second voyage en Asie mais seulement son premier aux Philippines.

La Muse Affiliée

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Tristan Lauber : Un passionné de la musique
par Gayle Colebrook

« La musique est le plus puissant des arts : il puise au plus profond de l’être humain. C’est l’art par lequel s’exprime le plus précisément l’immense spectre de l’émotion humaine. » La passion que possède Tristan Lauber pour la musique est palpable alors qu’il parle de sa carrière de pianiste et de pédagogue. Assis dans le coin d’un café à Outremont, il arrête de remuer son cappucino le temps de gesticuler avec emphase, cherchant à décrire l’engagement absolu que requiert la réussite de la carrière de pianiste de concert : « Il faut s’y consacrer sans réserve, de façon presque obsessive, » confie-t-il. « C’est une obsession que j’ai déjà vu aboutir en dépression nerveuse chez certains. Il faut absolument refuser tout compromis au niveau de l’intégrité musicale, tout en étant capable de maintenir un haut niveau de performance et un amour de la musique, ceci concert après concert. “Une passion en développement”

La passion de M. Lauber pour son art est apparue plus tard que l’on ne puisse penser, mais elle est demeurée au centre de ses intérêts. Son éducation musicale a débuté de façon peu habituelle : à l’âge de neuf ans, il commença à jouer de lui-même. Sa mère, la compositrice canadienne Anne Lauber, l’encourageait sans toutefois participer activement à son enseignement. Inscrit à l’école primaire Le Plateau, son éducation comprenait un programme mixte académique et musical.

Le rôle clé que joue le professeur dans le développement pédagogique et intellectuel de son élève dépasse souvent les bornes du sujet enseigné en influençant ses optiques sur la vie. De son avis, un bon professeur est « une personne dotée d’une patience extraordinaire et d’une énergie illimitée. Elle doit posséder une grande compassion et le désir de comprendre les jeunes. C’est quelqu’un qui jouit d’un haut niveau d’intelligence émotive qui permet de mieux comprendre les gens. C’est très important, car 60% de la communication humaine est non-verbale ».

En rétrospective, il discerne ces qualités chez les professeurs avec qui il a travaillé. Il avait environ 14 ans quand il commença à étudier avec Louis Lortie, ce dernier n’ayant que 23 ans à l’époque. M. Lauber se souvient de la capacité exceptionnelle avec laquelle Lortie s’asseyait au piano et pouvait jouer n’importe quelle pièce. Lortie n’était pas seulement un professeur, mais également un mentor et un ami avec lequel sortir manger une pizza après la leçon.

À l’université, M. Lauber travailla avec Marc Durand. De Durand il reconnaît « qu’il était un guide exceptionnel, très patient à mon égard. Sa force était sa largeur d’esprit. Il était doté d’un merveilleux sens du style, mais tout de même il nous encourageait fréquemment à rechercher d’autres optiques au niveau de l’interprétation musicale en travaillant auprès de plusieurs autres professeurs de musique. »

M. Lauber étudia également avec Monique Deschaussées, l’écrivaine et pédagogue française reconnue. Ses connaissances, qu’il caractérise de « phénoménalement encyclopédiques » l’ont poussé à élargir ses propres horizons culturels et artistiques afin d’adopter une vue globale des arts qui lui permette de comprendre l’interaction qui existe entre la musique, la littérature et les beaux-arts.

Avec André Laplante, il développa la projection sonore. Il s’est également découvert un amour pour l’interprétation de la musique romantique et un désir de l’adopter comme sienne, reflet de sa propre nature passionnée. Il considère que les enregistrements de musique romantique de M. Laplante se classent parmi les meilleurs.

Lors de ses études avec Anton Kuerti, M. Lauber a pu collaborer à la production de son enregistrement des oeuvres de Beethoven et de Brahms. Ceci lui a permis d’admirer non seulement l’immense énergie de Kuerti lors de l’interprétation de cette musique, mais aussi sa grande humilité vis-à-vis les oeuvres de ces grands maîtres.

Cette largesse d’esprit dépourvue de jugements préconçus s’est greffée à la philosophie musicale de M. Lauber. Il s’efforce de découvrir de nouvelles approches et les étudie afin d’en discerner leurs forces et leurs faiblesses. Il se sent ensuite en mesure de les absorber, les adapter ou les rejeter. Il applique cette méthode au développement de ses propres techniques pédagogiques.

Une passion pour l’enseignement

Son intégrité musicale se transmet également à son approche pédagogique. Tristan Lauber enseigne présentement à Montréal, mais a fait des tournées de concert et d’enseignement en Orient. Il a été conférencier invité et a dirigé des cours de maître à l’Université Putra Malaysia, au Sedaya College au Kuala Lumpur et au Conservatoire Royal de Musique (Toronto) au Séoul. Il retournera en Orient au mois d’avril 2000 pour jouer le Concerto de Tchaikowsky avec l’Orchestre symphonique national Malaysien.

Je lui ai demandé ce qui avait influencé son choix de l’Orient comme endroit de tournée. Il explique, « À part le fait que mon père soit vietnamien, j’admets une fascination pour la culture asiatique et la philosophie bouddhiste. J’admire la discipline et l’assiduité qui caractérisent la société asiatique. Je crois qu’au 21ème siècle, l’évolution humaine sera catalysée de façon importante par la rencontre de l’Orient et de l’Occident et le partage de leurs idéologies respectives aux niveaux philosophique, social et politique. »

Ces différences culturelles peuvent se remarquer dans l’emphase accordée à la pratique du piano. « En Corée, les parents s’impliquent énormément et en conséquence les enfants pratiquent constamment. Par contre, ici au Canada les parents sont en général beaucoup plus souples, tenant compte des désirs et des intérêts de leurs enfants. Évidemment, je constate des avantages et désavantages à chaque approche. Idéalement, il faudrait un mariage des deux approches, une discipline trop stricte ou trop relâchée pouvant être également nuisible ». Pour la pédagogie, il remarque que « les professeurs coréens insistent beaucoup sur la technique pianistique ; ils enseignent tôt les études de Czerny pour développer les doigts, passant ensuite aux études de Chopin pour perfectionner la précision et la vitesse. Par conséquent, il peut se créer des lacunes pour ce qui est du style. Il faut noter cependant que cette pédagogie commence à se modifier afin d’inclure certaines approches occidentales. »

M. Lauber croit qu’il faut aider les enfants à aimer la musique en créant de bons souvenirs. Ils devraient être encouragés à assister à des concerts qui soient appropriés pour leur âge, ce qui leur permettra d’élargir leurs horizons musicaux. Bien qu’une certaine discipline soit nécessaire dans l’apprentissage de la technique pianistique, les élèves devraient en venir à associer la musique au plaisir, à la relaxation et à la joie, non au stress. À cet égard, le professeur doit garder son équilibre. « Il faut toujours se rappeler qu’il y a une limite à ce qu’on puisse faire, » dit-il. « Si un élève n’accepte pas de vous écouter, soyez patient ; peut-être faut-il lui accorder du temps pour qu’il soit prêt à croire à vos solutions. »

Ce principe est particulièrement évident lors des cours de maître. Le professeur doit tenir compte de l’estime de soi de l’élève. « Je ne crois pas à l’humiliation publique. L’élève doit retrouver son siège en se sentant fier et encouragé, étant conscient de son progrès entre la première et la dernière exécution de sa pièce. «  Il se souvient d’une expérience enrichissante vécue aux Philippines : « Pendant un cours de maître, j’ai travaillé avec une jeune élève qui jouait le deuxième scherzo de Chopin. Elle était très raide et tendue, proche d’une tendinite. Nous avons travaillé ensemble pendant environ 90 minutes, et ensuite elle a rejoué le scherzo. C’était un jeu complètement différent ; elle était détendue et le son était magnifique. Je n’oublierai jamais le regard sur son visage ainsi que les expressions de ceux dans l’auditoire. Quels bons souvenirs ! Par la suite, elle est revenue me remercier. »

M. Lauber croit que les professeurs devraient mettre l’emphase sur les notions de base parmi lesquelles le sens de la pulsation et la compréhension du phrasé sont d’une grande importance. Ils devraient également enseigner une technique qui facilite la fluidité et qui permettra aux élèves de jouer n’importe quelle pièce sans douleur ni fatigue. « Les déficiences les plus courantes que je rencontre sont une mauvaise position de la main, un manque de solidité dans les doigts et le pont de la main, accompagné d’un manque de souplesse dans les bras. Je remarque souvent un sens sous-développé de la pulsation, » affirme-t-il. « Les professeurs ne devraient jamais laisser leurs élèves jouer sans pulsation. » L’élève devrait toujours s’efforcer de cultiver un son naturel qui transmettra sa compréhension de la résonance et du timbre pianistique. En concert ou en concours, l’élève devrait démontrer de l’enthousiasme, son amour de la musique étant apparent à travers son interprétation.

Une passion pour Chopin

Les ouvres de Chopin présentent des difficultés particulières pour le professeur et l’élève. La conférence de M. Lauber, intitulée L’enseignement des oeuvres de Chopin présentée à l’école Vincent d’Indy le 14 novembre 1999, vise à aider professeurs et élèves à les surmonter en les aidant à mieux comprendre les oeuvres de ce grand compositeur romantique. Pour motiver son choix de sujet, il répond que « Chopin est le seul compositeur qui ait écrit exclusivement pour le piano. Il a su pousser les limites de la technique pianistique à des niveaux sans égal. L’amour qu’éprouva Chopin pour la musique vocale est évident à travers ses oeuvres, les rendant indispensables pour l’acquisition d’un son chantant au clavier et faisant de lui un des plus importants compositeurs à cet égard. Ce qui rend cette musique difficile: surmonter les difficultés techniques pour que la musique semble se jouer d’elle-même, et ensuite acquérir un son chantant. Cette conférence se propose de guider les professeurs afin qu’ils puissent surmonter les problèmes techniques des oeuvres de Chopin et comprendre les nuances de style qui s’y trouvent. »

Contrairement aux dernières sonates de Beethoven qui devraient initialement être évitées à cause de leur intense spiritualité, la musique de Chopin jaillit du coeur, la rendant plus accessible et appropriée pour l’élève plus jeune. Par contre, le professeur devrait user de discernement en décidant d’inclure des oeuvres de Chopin dans le répertoire des jeunes pianistes. L’élève doit avoir un sens musical suffisamment développé pour saisir la sensibilité de cette musique et savoir l’apprécier.

M. Lauber suggère de débuter avec certains préludes, nocturnes (do dièse mineur, mi mineur, si bémol majeur) et valses, utilisant les mazurkas pour le développement du rythme. « J’éviterais de donner les préludes comme pièce de concert, d’examen ou de concours à un étudiant dont la musicalité est faible. Par contre, ce serait une excellente thérapie pour l’aider à surmonter ce problème. Pour ce qui est des études, le professeur ne doit pas les assigner trop tôt, et toujours les préparer avec les études de Czerny. »

M. Lauber suggère les volumes suivants pour guider professeurs et élèves dans l’interprétation des oeuvres de Chopin : Aspects de Chopin, d’Alfred Cortot et Chopin vu par ses élèves, de Jean Jacques Eigeldinger. Du côté des enregistrements, il recommande :pour les nocturnes, polonaises et ballades, Arthur Rubinstein ; pour les préludes, Arthur Rubinstein ou Martha Argerich ; pour les études, Alfred Cortot et Maurizio Pollini ; pour les valses, Dinu Lipatti ; pour les mazurkas, Samson François. Le professeur et l’élève devraient les écouter ensemble, recherchant les différences d’interprétation tout en évitant toute étroitesse d’esprit.

Alors que midi approchait et que le café se remplissait de clients affamés, j’ai demandé à M. Lauber d’adresser à nos élèves quelques dernières recommandations. Il s’arrêta un moment, l’émotion transformant son visage. « Ils devraient avoir un profond amour et un respect pour la grandeur de l’art musical. Cette attitude devrait motiver leur étude de la musique. Ils devraient toujours demeurer conscients de leurs objectifs musicaux et ne jamais se décourager malgré les difficultés qu’ils devront surmonter. »

Que ce soit en concert, en studio d’enregistrement ou en tant que pédagogue, Tristan Lauber demeure un passionné de la musique et dédié à son art. Puissions- nous garder une passion dans notre enseignement et transmettre à nos élèves un véritable amour de la musique en tant que moyen d’expression de l’émotion humaine.

 

Chopin : un phare toujours actuel

Chopin : un phare toujours actuel

Par Tristan Lauber / 1 février 2000

L’année 1999 a marqué le 150e anniversaire de la mort de Chopin, l’un des compositeurs les plus célèbres du XIXe siècle. Fils d’un émigré français raffiné et d’une Polonaise au coeur vaillant, il est né dans une petite ville près de Varsovie, où il a vécu jusqu’à l’âge de 17 ans. Le bonheur de ces premières années a été important pour lui, car son départ de la Pologne et son incapacité d’y retourner (en raison de l’occupation russe) ont à jamais inscrit dans son coeur la ferveur nationaliste qu’il a si éloquemment exprimée dans ses mazurkas et polonaises.

Après avoir voyagé en Europe, il s’est finalement établi à Paris pour y enseigner, donner des concerts et composer. Ses goûts en musique n’étaient pas particulièrement étendus. Il adorait Bach et passait des heures à jouer et enseigner les préludes et fugues du grand compositeur – et cette influence s’entend dans les nombreux passages en contrepoint de ses dernières oeuvres, notamment les deux nocturnes de l’opus 62 et le deuxième de l’opus 55. Mozart était un autre favori, Beethoven un peu moins. Son attitude à l’endroit de ses contemporains était au mieux ambiguë. Schumann le laissait froid, il n’a jamais répondu à l’enthousiasme de celui-ci pour sa propre musique, et son admiration pour Liszt était teintée d’envie. Mais les traits les plus distinctifs de sa personnalité furent peut-être son insécurité et son indécision (comme l’attestent de nombreuses lettres à ses parents où il exprime son hésitation à retourner en Pologne pour combattre avec ses compatriotes ou à demeurer dans son pays d’adoption). Cette « folie du doute » et son irrésolution chronique imprègnent en fait bon nombre de ses oeuvres et se reflètent même dans son langage harmonique, ce qui en a fait l’un des harmonistes les plus originaux de son temps. Le deuxième Prélude op. 28 en la mineur et la Mazurka op. 68, no 4, de même que plusieurs de ses oeuvres tardives, sont pleins d’audacieuses modulations en tons différents, atteintes par glissements subtils d’un ton à l’autre. Ce sont des exemples parfaits de sa personnalité indécise exprimés en musique, comme si le compositeur errait sur les touches, ne sachant trop où il veut aller, changeant de direction sans prévenir, suivant ses humeurs. Les musicologues estiment aujourd’hui que de telles audaces harmoniques préfiguraient le fameux « accord de Tristan » de Wagner.

En 1839, Chopin publiait ses 24 préludes, op. 28, lesquels sont considérés comme l’un des recueils les plus importants du répertoire romantique. Chaque prélude est écrit dans l’un des 24 tons, un hommage manifeste au grand Bach. Dans chacune de ces miniatures musicales, la gamme complète des émotions du compositeur est représentée. De la joie et l’allégresse à la mélancolie, voire la rage et la colère, on y retrouve peut-être la plus grande diversité de sentiments jamais réunie dans un même ensemble de pièces.

À quelques exceptions près, la production de Chopin a été consacrée exclusivement au piano. Ses oeuvres présentent des défis particuliers à l’interprète, car il a poussé la technique pianistique à des niveaux inégalés à l’époque. Les Études, op. 10 et 25, l’exemple le plus remarquable, constituent sans doute les pages les plus difficiles jamais écrites pour l’instrument, surtout lorsqu’elles sont exécutées dans leur intégralité. Chopin a repris les figures typiques (gammes, accords arpégés, trilles, doubles notes) trouvées dans les études de Hummel et de Clementi, mais il les a brillamment réinventées, les rendant encore plus exigeantes sur le plan pianistique. Néanmoins, elles deviennent chez lui des outils pour exprimer des idées musicales plutôt que de simples véhicules de prouesses superficielles, comme cela avait été le cas jusqu’alors. Comme son admiration du style bel canto (tel que représenté par Bellini) formait le pivot de sa vison artistique, sa conception du piano étant avant tout vocale plutôt qu’orchestrale. C’est pourquoi, en dépit du caractère virtuose des Études, il a évité l’épate facile, les tonnerres d’octaves alternées et les accords fracassants si chers aux Thalberg et autres Liszt du temps. Les Études de Chopin sont extrêmement utiles pour surmonter deux des plus sérieuses difficultés de ses compositions : acquérir une technique fluide, puissante et libre, qui fait sonner le piano comme s’il jouait tout seul et créer le ton chantant sans lequel sa musique perd toute sa beauté. L’on peut dire que Chopin a créé la forme de l’étude de concert, en quoi il a été suivi par Liszt, Rachmaninov, Scriabine et beaucoup d’autres qui ont écrit leurs propres recueils, traitant l’étude comme une pièce de musique sérieuse et digne d’intérêt.

Ce qui nous mène à son jeu, apparemment aussi exceptionnel que sa composition. Les comptes rendus des contemporains font état de la qualité évanescente et transparente de ses prestations. Chopin était célèbre pour ses gammes perlées, la subtilité de son expression et un legato sans pareil. Lorsque ses élèves lui ont demandé comment il avait acquis ces qualités, Chopin a rappelé l’importance d’écouter attentivement les plus grands chanteurs pour découvrir l’art véritable du chant pianistique. Ce conseil demeure aussi judicieux de nos jours.

Néanmoins, après sa mort en 1849, une approche fort bizarre de sa musique – selon les goûts actuels – a été perpétuée, surtout par ses élèves. Idéalisant la figure pâle et chétive du compositeur, assis au piano et menant aux larmes les aristocrates ravis par l’émotion de ses derniers nocturnes, ils ont cru à tort que sa musique ne devait jamais être jouée plus fort qu’un mf. Ils ignoraient que cette capacité de créer tant de gradations de pianissimi (si admirable soit-elle) n’était qu’un résultat inévitable de son incapacité de jouer forte, en raison de sa santé délicate. C’est pourquoi, durant des années, ils ont critiqué sévèrement quiconque (par exemple Anton Rubinstein, l’un des pianistes les plus populaires de la fin du XIXe siècle) osait insuffler toute forme de vigueur à sa musique. Heureusement, les temps ont changé et les pianistes modernes ont compris qu’en dépit de la faiblesse physique du compositeur, son esprit indomptable était riche d’énergie et de passion. Par conséquent, bien qu’une interprétation de Chopin doive toujours être musicalement cohérente et fidèle sur le plan stylistique, l’on peut sans doute affirmer que son trait distinctif doit être le coeur et l’émotion.


Pour en savoir davantage, je recommande la lecture des Aspects de Chopin d’Alfred Cortot et de Chopin vu par ses élèves de Jean-Jacques Eigeldinger. Quant aux enregistrements, voici quelques préférences personnelles. Les Nocturnes, Polonaises et Ballades, par Arthur Rubinstein; les Préludes, Arthur Rubinstein ou Martha Argerich; les Études, Alfred Cortot, pour sa prodigieuse imagination, et Maurizio Pollini, pour sa technique ahurissante; les Valses, Dinu Lipatti; les Mazurkas, Samson François.